Mais quand je vois l'état de la société aujourd'hui, je me dis qu'il faut savoir prendre
sa perte.
Vous dénoncez les élus qui pactisent avec des islamistes en citant des
municipalités comme Bagnolet, Cergy-Pontoise ou Aulnay-sous-Bois, mais vous
n'accumulez pas de nombreux exemples. Est-ce pour ne pas jeter des noms
en pâture ou parce que tout cela reste marginal ?
D'abord, je n'ai pas mené moi-même une enquête : j'ai pris des exemples que j'ai vus ou
dont on m'a parlé. Ensuite, ce n'est pas forcément intéressant de livrer des noms car
c'est une logique de système. Surtout, c'est dangereux. Certaines personnes vous
racontent des choses, mais ne veulent pas témoigner publiquement de peur d'être
violemment attaquées. Les accusations d'islamophobie ferment encore la bouche de
beaucoup de monde. Quand quelqu'un d'aussi respectable et respecté qu'Elisabeth
Badinter subit de telles attaques pour avoir dit qu'il ne faut pas avoir peur de se faire
traiter d'islamophobe, vous imaginez la trouille des gens qui n'ont pas son aura.
Elisabeth Badinter, mauvaise conscience de la gauche
Dans votre livre, vous décrivez des salafistes dans une logique permanente de
dissimulation…
Ce n'est pas une invasion de barbus, c'est beaucoup plus insidieux.C'est de l'infiltration
qui s'inscrit dans le temps long. Or, nous ne savons pas observer ces lentes montées
en puissances, et quand elles aboutissent, nous sommes complètement
décontenancés. Lorsqu'une association a voulu construire une mosquée dans la ville
où j'étais élue, elle a d'abord envoyé trois gugusses sur la liste de gauche et trois
autres sur la liste de droite. Ceux qui sont envoyés en première ligne sont de vieux
chibanis sympas, pas du tout agressifs. Mais derrière, vous voyez souvent des
jeunes, plutôt beaux gosses et sportifs, avec un look à la Tariq Ramadan. Ils ne disent
jamais rien tant que les places ne sont pas prises, mais à la fin, vous vous rendez
compte que ce sont eux qui tirent les ficelles.
"ON VOUS EXPLIQUE QUE CE SERAIT BIEN DE CONSTRUIRE LA MOSQUÉE À
CÔTÉ DU LYCÉE, POUR QUE LES JEUNES PUISSENT Y ALLER AU LIEU DE
TRAÎNER DANS LA RUE."
Concrètement, qu'avez-vous observé dans le cas des mosquées ?
D'abord, la mairie accorde un bail emphytéotique (de très longue durée, NDLR), ce qui
permet de subventionner sans le dire. Ensuite, les promoteurs de la mosquée vous
demandent de construire un parking, en assurant que c'est l'intérêt général puisqu'il
servira à tout le monde. Ensuite, on vous explique que ce serait bien de construire la
mosquée à côté du lycée, pour que les jeunes puissent y aller au lieu de traîner dans
la rue. Ensuite, on vous demande pourquoi on ne la mettrait pas dans le centre-ville.
C'est un moyen de montrer sa puissance et de gagner en visibilité. On ne parle jamais
de religion dans ces discussions, qui ressemblent plus à des négociations politiques
qu'à une revendication légitime de gens qui veulent pratiquer leur religion dans l'enceinte
privée.
On distingue en général l'islamisme non violent du terrorisme djihadisme, mais
vous écrivez que les courants islamistes quiétistes sont en réalité
"les préparateurs du terrain". Pourquoi ?
Parce qu'ils ensemencent des graines de haine, de violences, de rejet de la société et
préparent ainsi le passage à l'acte, même si je suis bien consciente que tous ne
basculeront pas. Que la prise du pouvoir se fasse par la violence ou la légalité,
la société qu'elle installe est la même. Quelle que soit la différence entre les Qataris,
l'Arabie saoudite, l'Etat islamique, etc, la finalité est identique : soumission,
oppression des femmes, violence envers les homosexuels, refus d'accorder les
mêmes droits à ceux qui n'ont pas la même religion… On dériverait alors vers des
sociétés claniques, non démocratiques, marquées par une embolie intellectuelle.
"Les autorités ne doivent pas sous-traiter la
politique de la jeunesse"
Mais comment s'adresser aux populations victimes de l'emprise islamiste ?
Il faut commencer par remettre à leur place ceux qui les infusent, en disant aux
salafistes qu'ils n'ont pas de place dans cette République. Il faut leur retirer les outils
de la puissance : la possibilité d'accueillir des enfants, de donner des cours,
d'organiser des rassemblements, de devenir des interlocuteurs de la mairie… Ensuite,
un territoire perdu, c'est souvent un territoire abandonné. Les autorités ne doivent pas
sous-traiter la politique de la jeunesse, mais s'en occuper elles-mêmes, en y mettant
le prix. Aujourd'hui, on fait la promotion du service civique pour tenter de remettre
la jeunesse dans une perspective citoyenne, mais on s'aperçoit que l'un de ses
opérateurs principaux est la Ligue de l'enseignement, qui a fêté son 150e anniversaire
avec l'European Muslim Network, le lobby de Tariq Ramadan… La Ligue des droits de
l'homme (LDH) aussi sert de caution de moralité à ces gens, qui ne se trompent pas
sur les lieux qu'ils infiltrent.
Aujourd'hui, les lanceurs d'alerte comme vous semblent mieux écoutés…
Oui, quelque chose est en train de changer. On l'a vu le 11 janvier 2015 : on s'est
rendu compte qu'il y avait un peuple, que ce peuple avait une conscience du monde
commun dans lequel il veut vivre et qu'il était prêt à se lever pour le défendre. Mais les
politiques ne veulent pas voir ce changement, par peur d'une remise en cause des
rentes de situation dans lesquelles ils se complaisent.
"Il y a un vrai courage chez Manuel Valls"
Mais quelqu'un comme Manuel Valls n'hésite pas à donner de la voix. Il s'est
encore alarmé récemment de la progression d'une "minorité agissante" salafiste…
Je trouve effectivement qu'il y a un vrai courage chez Manuel Valls. Mais quand il sort
du bois contre Jean-Louis Bianco pour défendre Elisabeth Badinter (dans la polémique
qui a agité l'Observatoire de la laïcité en janvier, NDLR), il se fait humilier par le
président de la République qui veut sauver un copain de 30 ans. L'autre problème,
c'est que quand Valls parle de ces sujets-là, le gouvernement baisse les yeux et le
PS lui tire dessus à boulets rouges.
IL NE FAUT PAS SE LEURRER : AUJOURD'HUI, LE VOILE N'EST PAS UNE PIÈCE
VESTIMENTAIRE, C'EST UNE FORME DE REVENDICATION POLITIQUE.
Quand Valls estime qu'il faudrait interdire le voile à l'université, vous êtes
d'accord avec lui ?
Oui, car le voile dont on parle n'est plus un petit foulard flottant sur des cheveux
dénoués. C'est un uniforme total, un linceul. Il ne faut pas se leurrer : aujourd'hui,
le voile n'est pas une pièce vestimentaire, c'est une forme de revendication politique.
Il dit des femmes qu'elles sont impures, qu'elles sont des sexes ambulants et qu'elles
doivent cacher cela. Il dit surtout qu'elles sont inférieures à l'homme. Et si on introduit
l'inégalité en raison du sexe, pourquoi ne pas l'introduire à raison de la couleur de peau
ou de la conviction religieuse ?
Alain Juppé m'a particulièrement déçue lorsqu'il a justifié l'autorisation du voile en
parlant de sa mère qui portait un foulard à l'église. J'ai envie de lui dire : tu sais Alain,
ta mère qui portait un foulard, elle n'emmerdait pas les autres femmes pour qu'elles le
portent. Et elle n'avait pas le droit d'avoir un compte en banque ou de travailler sans
l'autorisation de son mari, elle n'avait pas la maîtrise de son corps… 70 ans ont passé,
donc ne me renvoie pas à ces images-là. J'en ai marre de ces mâles politiques qui
trouvent que rogner sur les droits des femmes, finalement, ce n'est pas un problème.
Comment expliquer le problème du Parti socialiste avec la laïcité ?
En un mot : électoralisme. Ce qui m'a fait partir, c'est le refus de clarification
idéologique, l'ambiguïté cultivée à dessein et des désignations qui ne dépendent pas
des qualités intellectuelles et morales, mais de la capacité à manipuler des paquets
de voix. Je l'ai vu aux élections régionales : on invite des gens à devenir élus pour être
le représentant de leur particularisme, et pas pour créer et faire vivre le monde
commun.
"Le FN, comme les islamistes, pue la mort"
Vous parlez de "guerre des identitaires" entre les islamistes et le Front national.
Que voulez-vous dire ?
Je perds souvent mes combats avec les gens qui me disent qu'ils vont voter FN en
arguant que la seule qui est claire sur la laïcité, c'est Marine Le Pen. Déjà, quand vous
écoutez ce que dit Marion Maréchal-Le Pen, vous réalisez que ce n'est pas
exactement le même discours. Ensuite, le FN n'a pas plus de rapport à la vérité que
les islamistes. Ce sont des tacticiens purs. Ils voient que la laïcité et la République
sont des mots porteurs, donc ils les utilisent. Mais ce discours ne les engage à rien.
Quelque part, ils sont aussi absolutistes dans l'identité que les islamistes. Le rêve de
ces derniers est un monde immanent et figé. C'est pareil pour le FN, qui a une vision
d'une France presque mythifiée, figée dans ses représentations. Pour moi, l'un comme
l'autre pue la mort.
Selon vous, quel candidat à la présidentielle tient le discours le plus clair sur
ces questions ?
2017 me désespère. Hollande ne devrait pas se représenter, Sarkozy non plus.
Cela créerait un vrai appel d'air. Celui qui me semble le plus proche des idées pour
lesquelles je me bats, c'est Bastien Faudot, le jeune candidat du Mouvement
républicain et citoyen (MRC), que je vais bientôt rencontrer. Mais pour l'instant,
soutenir un candidat n'est pas mon objet. Je veux redonner de la spiritualité en
politique, l'envie aux gens de se lever et de se battre pour être co-créateurs de
notre monde commun.
D'où viendra le déclic ?
Dans la population, on sent qu'il est là. Malheureusement, les politiques préfèrent
tourner le dos par manque de courage. Je sais que le discours "tous pourris" est
insupportable et violent pour des élus souvent dévoués. Mais le dévouement sans le
courage, ce n'est pas suffisant. Ce ne serait pas grave si nous étions comme
il y a 30 ans. Seulement, aujourd'hui, des gens meurent à cause de ça. Il faut arrêter
de jouer.
>> Silence coupable, de Céline Pina, éditions Kero, 256 pages, 18,90 €.